
Je me rappelle parfaitement mon premier cours de technologie en France, à Nancy. Le professeur était un homme à la barbe poivre et sel, hirsute, très drôle, amusant. Un bonhomme un peu potelé qui faisait la navette devant nous pendant le cours, marchant de gauche à droite, de droite à gauche. Il nous a dit qu'il était kinesthésique, c'est-à-dire que son modèle de réflexion et de production était lié au mouvement. Il y a des gens qui apprennent mieux en écoutant, après avoir entendu, d'autres après avoir prononcé leur objet, d'autres avaient besoin de voir pour retenir. Quant à nous, nous étions prêts à boire tout ce qu’il nous disait.
Lui, c’est en se déplaçant qu’il était le plus performant. Et quand on y pense, ce n'est pas si particulier, quand vous regardez les jeunes qui apprennent le Coran dans les écoles, assis avec leur aluwa sur leurs cuisses. Ils balancent leur buste en avant et en arrière, on voit bien que leur corps est impliqué dans le processus d'apprentissage. Et quand on leur demande de s'arrêter de bouger, ils perdent le fil de leurs pensées.
Ce professeur nous dit, dès le premier cours, très clairement : « J'espère qu'à la fin du cours, vous ne me traiterez pas de menteur. » Nous étions étonnés, car c'était un homme brillant, d’une densité étourdissante, l’air happé par le tourbillon de la science. Nous lui vouions une admiration immense (dans le sens de sans mesure). Nous étions littéralement accrochés à ses lèvres, prêts à absorber tout ce qui serait abordé. Qu'il nous dise que nous pourrions le traiter de menteur était surprenant. Puis il nous dit : « Je vous ai posé cette question parce que tout ce que je vais vous enseigner à partir d’aujourd’hui pourrait être impertinent dans une semaine, erroné dans un mois, probablement tout à fait faux à la fin de ce cours. » Ce ne sera pas moi, c’est la marche de la technologie qui avance sans cesse, tout comme cette bonne vieille terre qui ne cesse de tourner ».
Voilà la phrase introductive, l'état d'esprit avec lequel j'ai entamé mon premier cours de technologie à l'Université de Nancy 2, il y a plus de 25 ans. Et la terre tourne toujours, par rotation et par révolution.
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