top of page
Rechercher

Réflexion sur le service à la clientèle et les valeurs endogènes

Vendeuse de gerte
Vendeuse de gerte

4 aout 2025 - CICAD | Présentation de l’Agenda national de Transformation du Service public


Il est souvent question de la nécessité d’améliorer le service à la clientèle dans nos administrations. Nous sommes régulièrement invités à prendre exemple sur l’Occident, où "le client est roi". Pourtant, le manque de considération envers l’usager dans certains de nos services semble s’enraciner dans des réalités plus complexes, parfois conjoncturelles — comme la précarité économique ou les tensions du quotidien. Il arrive qu’un agent mal payé, qui laisse derrière lui une situation familiale difficile, en vienne à projeter son mal-être sur son lieu de travail. Mais il ne devrait pas en être ainsi : le contexte domestique ne devrait pas interférer avec l’éthique professionnelle. Il est vrai que cette précarité rend la gestion de la situation difficile pour l’employé, surtout lorsqu’elle dure.


Cela dit, au-delà de ces facteurs immédiats, il sied de s’interroger sur les racines plus profondes de ce rapport distant, voire méprisant, à l’usager. Il semble que cet héritage soit lié à la période coloniale. À l’époque, ceux qui accédaient à un emploi dans l’administration étaient souvent perçus comme une élite sélectionnée, valorisée par le système colonial. Cette valorisation s’accompagnait parfois d’un mépris affiché envers leurs semblables, considérés comme "inférieurs" ou "non civilisés". Le service public est donc né dans un contexte où le pouvoir administratif s’exerçait davantage par domination que dans une logique d’assistance ou de service.


Aujourd’hui, nous sommes souvent exhortés à calquer nos standards sur ceux de l’Occident. Pourtant, si l’on quitte un instant les couloirs de l’État et les références occidentales, nous découvrons dans notre propre histoire sociale des formes profondément humaines de service à la clientèle — portées par nos mères, nos tantes, nos grands-mères. Ces femmes, souvent analphabètes, vendeuses d’arachides, de café ou de beignets dans la rue, savent mieux que quiconque accueillir, écouter, fidéliser . Elles ne suivent aucun manuel de gestion, mais elles incarnent une culture du lien, du respect mutuel, de la générosité. Elles discutent avec les clients, offrent parfois un extra (buuña, cof), créent une ambiance chaleureuse qui fait qu’on revient, qu’on achète plus que prévu, et qu’on les remercie spontanément. Il existe bien des jeunes assez agressifs dans le commerce de rue, mais ceci remonte à l'influence de leur vécu domestique sur la vie professionnelle. Nous en avons parlé plus haut. Les extrêmes sont à éviter.

 

Ce rapport humain, cette forme de commerce ancrée dans les valeurs communautaires, nous rappelle que nous n’avons pas tout à apprendre d’ailleurs. Certaines valeurs de service, d’accueil et d’éthique sont déjà là, dans notre propre patrimoine — mais elles ont été invisibilisées, effacées.

 

Il est donc temps non seulement de s’ouvrir à ce qui fonctionne ailleurs, mais aussi de retourner à nos propres ressources culturelles, de relire notre histoire, de réinterroger nos pratiques anciennes. Cela passe par une forme d’archéologie — que l’on pourrait qualifier de linguistique — car, la langue conserve les traces de notre manière d’être au monde. Chaque mot, chaque expression traditionnelle, chaque proverbe porte une mémoire, un savoir-faire, une éthique. En revenant au sens profond des mots de nos langues, en explorant leur étymologie, nous pouvons raviver des valeurs endogènes, des modèles de société et de service qui ont guidé nos ancêtres et que nous avons tout intérêt à redécouvrir aujourd’hui.

 

Mais au - delà de toutes ces analyses — qu’elles soient historiques, culturelles ou du marketing —, il faut revenir à une vérité simple et universelle. Il ne s’agit ni d’un savoir universitaire, ni d’un discours idéologique. C’est avant tout une affaire de bon sens. Peu importe le poste que l’on occupe, dans le public comme dans le privé : si les clients ou les usagers n’existaient pas, ce poste n’existerait pas non plus. C’est aussi simple que cela.

 

Ce qui est en jeu ici, au-delà de la complexité des systèmes administratifs ou la sophistication des formations en service à la clientèle, est une logique élémentaire : si quelqu’un vient vers vous, c’est qu’il a besoin d’un service. Et c’est ce besoin qui justifie votre emploi, votre fonction, votre salaire. Alors, que l’on s’appuie sur des savoirs savants ou des ressentis profonds, que l’on puise dans notre culture ou dans les modèles venus d’ailleurs, tout cela ne fait que renforcer cette vérité première : Servir, ce n’est pas se diminuer. C’est reconnaître que l’on existe à travers le lien avec l’autre.  


Si nous prenons l’exemple de nos mères, de nos tantes, de nos grand-mères — ces vendeuses d’arachides, de café ou de fruits dans les rues —, celles-là mêmes qui n’ont pas été à l’école, qui n’ont pas été soumises au conditionnement institutionnel moderne, on constate une chose remarquable : elles savent ce qu’est le service à la clientèle. Et ce savoir ne leur vient ni de formations professionnelles ni de manuels venus d’ailleurs, mais de notre propre culture.


Depuis toujours, on observe chez les vendeuses de "gerté caaf" (arachide séchée et salée)  un sens naturel de l’accueil, une disposition à la discussion, une générosité dans l’échange. Lorsqu’un client s’approche, elles ne se contentent pas de vendre. Elles ouvrent un dialogue, elles créent un espace de confiance. Et très souvent, c’est cette ambiance, cette chaleur humaine qui font qu’on achète plus que prévu, ou qu’en partant, on leur laisse plus que ce qu'elles demandent — en guise de reconnaissance. Elles restent professionnelles. Et pourtant, elles ont une situation assez précaire.


Ces valeurs-là, bien qu’essentielles, sont devenues invisibles, reléguées au rang de traditions archaïques ou informelles. Certes, il est utile de regarder ce qui se fait ailleurs, d’apprendre de ce qui fonctionne dans d’autres contextes. Mais le moment est venu de retourner à nos propres fondations, d’explorer ce que nous pouvons récupérer de cette civilisation dispersée, longtemps négligée, parfois méprisée.

 

 
 
 

Posts récents

Voir tout
Commentaire de la 1ere édition

Trouvez ci-dessous des commentaires de lecteurs, nous vous invitons à livrer vos impressions... . C’est avec plaisir que je me suis...

 
 
 

Comentarios


bottom of page