La mémoire des émotions

Serigne Saliou Aïssy, Nourou Darayn

Touba-Sherbrooke, 13 aout 2025

Le principe du modèle

Relève du rationnel;

Celui de l’idole

Procède du passionnel.

Une leçon de Touba–Nancy

Il y a quelques années, j’ai assisté à un màggal, à Nancy… ou plutôt à Touba–Nancy, puisque, dans la philosophie mouride, chaque lieu où se trouve le disciple est appelé à être relié à la terre-mère. Cette connexion se lit aussi dans le port du maxtuume, ce coffret qui pend au cou et symbolise le poids de nos actes dans l’Au-delà.

Lors de ce màggal, donc, un ami éthiopien m’a demandé :

— « Pourquoi chantent-ils si fort ? Dieu n’est pas sourd. »

Je lui ai répondu :

— « Dieu n’est pas sourd, mais les humains ont souvent les oreilles bouchées et la peau lisse. Il faut parfois profondément y graver les signes, afin qu’ils y laissent une trace. »

Quand la psalmodie éveille l’âme

La psalmodie, par sa mélodie, ses envolées lyriques et ses changements de rythme, est un appel à l’âme. Elle vise le ressenti (xër, yég-yég), cette force qui nous émeut et nous pousse à agir. La recherche du ressenti est primordiale, puisque, dans bien des domaines, ce sont la volonté et la motivation qui manquent le plus à l’humain. Mais il faut trouver un équilibre. Faisons alors de nos guides spirituels des modèles, plutôt que des idoles. Le modèle relève du rationnel ; l’idole, du passionnel. Les miracles émerveillent ; le cheminement inspire.

Un triptyque indissociable

Aujourd’hui, le savoir est accessible, à acquérir ; l’intelligence est en nous, à affûter ; le ressenti est le facteur problématique. Les trois - savoir, intelligence, ressenti - doivent coexister. La déclamation des xasaaid, qui fait vibrer le corps, pourrait être accompagnée de contextualisation - clarté et clarification - pour que l’émotion devienne action lucide. Autrement, la transe du disciple risque d’être un élan perdu, faute de cadre et d’outils pour formaliser ce qui l'anime. Le savoir éclaire, l’intelligence guide, mais seul le ressenti met nos pas en mouvement.

La mémoire des émotions

Qui se souvient du nom du jeune garçon sur l’image d’illustration ? Il s’appelle Sëriñ Saliou Aïssy, voix d'ange, articulation impeccable, Maa shaa Allah. Probablement peu d’entre nous se rappellent du titre du xasiida si merveilleusement déclamé, celui qui l’avait fait connaître, il y a 6 ans. Mais beaucoup plus se souviennent du sentiment qu’il a pu provoquer en eux. C’est là la force du ressenti, plus durable. Si sa prestation a réussi à vous faire bouger le petit doigt et à provoquer quelques clics (ne serait-ce que pour en savoir plus sur le xasiida en question), il vous aura alors insufflé assez d’énergie pour vous émouvoir au point de vous mettre en mouvement.

Ancrage et vitalité d’une communauté

Parmi les minorités, l’exemplarité de la communauté mouride réside dans la création d’un kuréel, une cellule vivante, et dans son maintien avec constance. Je me souviens de mon arrivée en France : perdu dans les couloirs de ma résidence universitaire, j’ai entendu des xasaaid. Croyant d’abord halluciner, je suis tombé sur le kureel de la daahira mouride dans la salle d'étude. Leur vue me mit littéralement à genoux, comme un errant au milieu du désert aride, qui tombe sur une oasis insoupçonnée .

Là est le début de mon attachement,

À cette voie.