(Résumé de mon intervention aux premières journées de Laval en Mille et Une Cultures)
Un personnage du film Les vendanges de feu, de langue maternelle hispanique, agacé de se voir rappeler son accent, dit "je parle peut-être avec un accent, mais je ne réfléchis pas avec un accent!!".
La faiblesse linguistique et la force du message
La faiblesse des capacités linguistiques d'un locuteur ne doit pas affaiblir la valeur de son message. Les scientifiques qui font des présentations dans une langue étrangère ou seconde sont de bons exemples à ce propos. Ils simplifient au maximum la langue, confiants de la valeur du savoir qu’ils ont à transmettre. L’outil linguistique doit bien sûr être pris en compte, puisqu'il est le moyen de communication, mais il doit s’effacer derrière le message, comme le traducteur qui doit s’effacer derrière le texte à traduire. Il doit adopter le style du texte, et laisser de côté son propre style.
Perspective socio-historique
La question du fond et de la forme du message se pose surtout pour les locuteurs issus d'une société à longue tradition orale (au fond, toute société humaine est de tradition orale, mais certaines l'ont vécu plus longtemps). Ces locuteurs ont tendance à donner une grande importance à la forme linguistique.
En réalité, ce goût de la belle parole (qui peut faire baisser la clarté du message) pourrait s'expliquer par le fait de la tradition orale. En effet, la vie dans une société à forte tradition orale exige un développement de l'outil de communication oral. Du coup, la maîtrise de la langue devient un signe de haut statut social. Le locuteur africain, par exemple, tend parfois à parler non pas pour informer mais pour montrer qu'il maîtrise la langue.
Cette particularité pourrait aussi s'expliquer par la colonisation française. Dans le système colonial français, la langue a été érigée en outil de domination. Par conséquent, une politique de domination linguistique avait été mise en place. D'ailleurs, des intellectuels africains ont pris des positions importantes à ce propos (Kateb Yacine, Senghor, Césaire ....) (voir mon article sur le sujet).
Se libérer de ce complexe linguistique pourrait jouer dans la priorité à donner au message. Une approche fonctionnelle doit être adoptée surtout quand on est dans les sociétés Nord-Américaines.
L'empathie linguistique
Quand nous parlons le même langage que notre interlocuteur, il nous comprends mieux, et se trouve dans de meilleures dispositions envers nous. En faisant cet effort, nous nous identifions à lui, nous lui témoignons l'estime que nous avons de son identité linguistique. Mandela disait en substance que quand on parle à quelqu’un dans une langue (seconde ou) étrangère, cela va dans son cerveau , quand on lui parle dans sa langue maternelle, cela va dans son cœur. Le français québécois est une variété du français central, donc il est ici question de considérer la variété linguistique de l'autre (cela est valable pour les deux interlocuteurs). Ce que nous comprenons ici, est qu’une langue se sent autant qu’elle se sait.
S'adapter est donc est positif. Par contre, ce qui reste à préciser est « Qu’est-ce qu’on cherche à adopter du langage de l’autre »? En linguistique comme en didactique, une division est faite entre le fond (le sens du message) et la forme (des mots, la structure de la phrase, l'intonation ...). S’adapter au fond du message et plus positif, une adaptation à la forme du message est plus hasardeuse.
Valoriser le fond du message
Dans une communication interculturelle, prenons le contexte québécois, utiliser des termes, des expressions locales est positif.
Tout d’abord, on a recours à des mots connus de l’autre. Nos interlocuteur comprend, par exemple, les mots achaler et importuner ou déranger. Par contre, s’il sait ce qu’est importuner ou déranger, il sent le mot achaler avec lequel il entretient une relation identitaire. Un communicateur compétent doit savoir adapter son discours selon le contexte. Cela peut aller jusqu'à l'adoption du registre de langue adéquat.
Mais aussi le fait d’utiliser des termes connus de l’interlocuteur est très fonctionnel et empêche de divertir ou de disperser l’interlocuteur. Supposons que vous passez une entrevue, en disant que vous voulez postuler à la place d’appliquer à un emploi, il se peut que celui à qui vous parlez ne connaisse pas le mot en question. Il le devinera bien du fait du contexte, mais vous le perdez durant quelques secondes. Votre interlocuteur peut aussi être distrait en se demandant pourquoi vous ne dites pas tout « simplement » appliquer. Je ne pense pas qu’il va entrer dans le jeu des représentations et se demander si vous estimez sa variété linguistique vaut moins que les autres. Et il va faire toute cette gymnastique intellectuelle pendant que vous vous présentez, à la place de se concentrer sur votre présentation. Celui qui vous fait passer l'entrevue peut aussi simplement en conclure que vous manquez « d’expérience locale », et se fonder là-dessus pour ne pas vous embaucher!! Ces petites distractions (qui peuvent être de diverses natures) constituent ce qu'on appelle un bruit (une distraction), en communication.
Ne pas mettre trop d'énergie sur la forme
Utiliser des expressions québécoises ne veut pas dire prendre l’accent québécois. Quand on parle d’accent, il est question de la prononciation (mais aussi de la rythmique et de la prosodie):
- de certaines consonnes (affrication) : prononcer ts ou dz à la place de t ou d;
- de voyelles : prononciation antérieure ou postérieure
- prononciation, en arrière de la bouche de la voyelle (a); et avant pour an ;
- allongement et diphtongaison : Ex: paère pour père.
.... L’accent ne se feint pas. Il s’agit d’un réflexe géré majoritairement par l’hémisphère gauche du cerveau. Quand nous parlons notre langue maternelle, l’accent et la syntaxe (la forme) sont gérés par l’hémisphère gauche, l’hémisphère droit est alors déchargé et peut s’occuper du fond, de la signification du message. En feignant un accent, votre donnez plus de travail à l’hémisphère droit. Obliger cette partie du cerveau à prendre en charge la forme peut diminuer la qualité du fond de votre message.
La compétence linguistique
Adapter son discours au milieu. Celui qui est compétent en communication est celui que qui ne parle pas comme un livre tout le temps, mais quelqu’un qui module (voir mon article) son propos par rapport à son public.
Il est plus efficace pour se faire comprendre, de proposer à son interlocuteur une forme (registre, variété) qui lui est familière. Celui qui vous écoute pourra alors se concentrer sur ce que vous dites, le fond de votre message, et non sur votre manière de parler .
Prenons un exemple : votre enfant doit participer à des olympiades toute la journée à l’école. Si vous lui donnez des habits adaptés et confortables (cf. outil linguistique), il pourra profiter des activités (cf. le contenu du message), mais si les habits sont trop longs, trop courts, trop serrés, trop chauds (cf. formulation linguistique non adaptée du message),
Il passera une bonne partie du temps à les ajuster (le bruit linguistique) et profitera moins de l'essentiel.
Malé Fofana PhD